
Compte-rendus d'expositions par Sadreddine Arezki
J'ai découvert le blog de Sadreddine Arezki grâce à un échange autour d'une passion commune pour Chauncey Hare sur les réseaux sociaux (voir article "Protest Photographs" de ce numéro). Sont repris ici quelques-unes de ses notes récentes sur des expositions de photographies à Paris et à Rome.
« Col tempo, 1956-2024 » de Guido Guidi au Museo Maxxi (Rome)
Importante rétrospective de Guido Guidi au Museo Maxxi à Rome. Plusieurs décennies d’activité, des premières photos de ses parents et de son frère aux archives présentées en fin de parcours. Guidi ouvre sa boite à souvenirs de travaux divers et aussi de sa formation de photographe. Il est émouvant de voir les lignes noircies de ses notes au regard de photos de Walker Evans qu’il étudiait. On constate que ses photos sous influence sont un jalon important de sa formation sans être parmi ses plus intéressantes. Guidi a très tôt manifesté son intérêt pour la séquence photographique. Son approche est celle d’un photographe observateur de l’effet du changement de la lumière éclairant ses sujets, le plus souvent presque dénués d’intérêt. On peut dire que Guidi fait des photos au sens où le rendu matériel est plus important que tout le reste. La pensée s’agglomère en image. C’est en cela un esthète non dénué d’affect comme en atteste ses photos des environs de chez lui à Cesena ou des portraits de proches. Le réalisme de Guidi est un réalisme photographique, Guidi est un matérialiste qui ne croit qu’a ce qu’il voit et qu’il veut faire voir. il affirme ainsi vouloir des tirages où l’herbe ressemble à l’herbe et la pierre à la pierre. C’est beau cette croyance folle dans le medium. La photographie c’est le réel en plus beau, mieux construit et plus compréhensible.
jusqu’au 27 avril 2025 : https://www.maxxi.art/en/events/guido-guidi-col-tempo-1956-2024/ (voir image en tête d'article)
« ROMA » de Gabriele Basilico au Museo Nazionale Romano (Rome)
Par un heureux hasard, parallèlement à la rétrospective Guido Guidi au Maxxi, le Museo Nazionale Romano propose une expo d’images de Rome par Gabriele Basilico. Le palazzo Altemps est plutôt réservé à la statuaire romaine, c’est plaisant de voir la cohabitation des photos avec les statues. Comme si, sur la flèche du temps artistique étaient assemblées des œuvres éloignées dans le temps et mises sur un pied d’égalité. Basilico a beaucoup travaillé à Rome, en commande ou pour lui. On se rend mieux compte, plus qu’en livre, de la force voire de la violence de ses images. Certaines vous sautent au visage, d’autres sont habitées d’un silence inquiétant. Dans ce monde organisé et réagencé, les façades planes ou saillantes, sont le reflet d’une vision harmonisée de la ville. Il semblerait que nous n’habitons pas les lieux mais que ceux-ci nous habitent et nous façonnent à leur image, contrastée, anguleuse et parfois dure. Deux autres choses fabuleuses dans l’expo : le mur de tirages de lecture qui permettent de suivre la génétique de l’œuvre de Basilico, sa façon de travailler ses tirages, ses choix, c’est tout aussi fascinant de voir cela que ses œuvres. Enfin, ces vues en couleur du Tibre, rares sont les images en couleur chez Basilico. Il a un goût pictural, composition et harmonie de l’œuvre, qui le rapproche de la peinture de Vedute, classiques mais réactivées par ce nouveau médium photographique qui prend la suite. C’est très beau et montre aussi la palette assez large de Basilico souvent cantonné à la photo d’architecture. Seule fausse note, le catalogue de l’expo fait de doubles pages cassées par la reliure souple.
Jusqu’au 4 mai 2025 : https://museonazionaleromano.beniculturali.it/evento/gabriele-basilico-roma/
House of Bondage d’Ernest Cole à la Magnum Gallery (Paris)

Des extraits de la légendaire et implacable série House of Bondage d’Ernest Cole sont exposés chez Magnum à Paris. Cette expo chapitrée comme le livre du même nom décrit l’apartheid sous toutes ses formes, la séparation des Noirs et des Blancs, les conditions de travail des mineurs et des servantes chez les Blancs, le bannissement des rebelles, la vie des classes moyennes Noires et l’effet de la religion qui voisine avec les ravages de l’alcool vendu par le gouvernement blanc aux Noirs. Enfin, Cole montre les arrestations de Noirs sans autorisation de circulation ou les conditions de vie misérables des Noirs. Cole était classé Homme de couleur et pas Noir, ce qui lui permettait d’avoir plus de liberté de circuler, ajoutée à sa discrétion cela lui permettait de photographier un peu partout. Les tirages vintage sont très beaux et en excellent état. La démonstration de Cole est si implacable qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que soit aux images, le témoignage est précieux, il lui a valu l’exil et une fin de vie misérable à NYC. Une réflexion un peu idiote me traversait l’esprit après l’expo, qu’est-ce que ça fait de photographier la ségrégation raciale en noir et blanc ? C’est seulement le hasard et la contingence du matériel et du choix esthétique qui ressort de ces images. Il n’y a avait pas d’autres couleurs possibles à ce moment là de l’Histoire. C’était noir / blanc ou rien.
Jusqu’au 26 avril 2025 : https://store.magnumphotos.com/pages/paris-gallery
"Comment les nazis ont photographié leurs crimes. Auschwitz 1944" au Mémorial de la Shoah (Paris)

Extraordinaire exposition au Mémorial de la Shoah, à propos de l’album de photographies réalisées par les deux photographes officiels du camp d’Auschwitz lors de l’extermination express de 600 000 juifs hongrois en 1944. Sous le commissariat scientifique de Tal Bruttmann et de Christophe Kreutzmuller, l’album retrouvé au début des années 1980 est déroulé, examiné, contextualisé pour comprendre et voir comment les nazis sélectionnaient les Juifs à l’arrivée du camp. Toute recontextualisation est littéralement une manipulation, il s’agit de tourner les pages de l’album à la main. Elle ne peut souffrir aucune erreur ou approximation au risque de jeter le discrédit sur l’ensemble. Les deux commissaires détaillent les images, les datent et les situent précisément. La prise de photos dans sa froideur administrative destinée à des rapports à la hiérarchie sur la bonne marche de cette funeste entreprise est à son tour exploitée pour regarder au sens intense du terme, c’est à dire rendre vivant dans le souvenir les victimes. La photo a souvent été du côté des dominants, elle sert parfois à faire vivre la mémoire des vaincus. Des images de cet album ont servi à identifier des personnes et ont servi au procès Eichmann. Il y des images plus bouleversantes, ces vues aériennes ou l’on perçoit la fumée des fours. Ces files de personnes destinées immédiatement à la mort. On y voit aussi des soirées d’anniversaires de nazis. Certaines images relèvent plus directement de l’humiliation, comme ces rabbins décoiffés servant la typologie antisémite. Et puis, ces images extraordinaires, ces regards de défi lancés par les victimes à leurs bourreaux, cette jeune femme tirant la langue au photographe nazi. Ces images servant la propagande nazie se lisent aujourd’hui à rebours, elles ne retirent malheureusement pas le statut des victimes, ce serait trop demander aux images, elles nous rapprochent des victimes pour juger l’œuvre monstrueuse des bourreaux. Le parcours se termine sur les quatre seules images connues des chambres à gaz et des crémations. Ces images, à propos desquelles Didi-Huberman a écrit des textes parmi ses plus bouleversantes (lire notamment "Images malgré tout" Minuit, 2004) nous instruisent de l’horreur. Elles forment aussi le vœu inaliénable que les images de catastrophe témoignent toujours de l’insoumission des victimes y compris lorsque c’est le bourreau qui documente.
L’exposition se poursuit jusqu’au 16 novembre 2025 : https://expo-photos-auschwitz.memorialdelashoah.org/
Sadreddine Arezki
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